La Bibliothèque Idéale (2/3) de Fitzgerald à Pirandello

Le choix d’un livre est une élection. Il part d’un goût pro­fond. Comme dans tous les Arts — ces amitiés spirituelles — on cherche dans le livre une intime ressemblance. Au moins, une correspondance. Mais il en va d’une bibliothèque comme d’un bâtiment : avant de l’édifier, il faut lui garantir des bases solides. Puis la développer, l’agrémenter, l’enrichir, au gré de l’humeur et des vogues.

Notre propos est de vous conduire vers quelques-uns des sommets — les plus accessibles — de la Littérature. Ces œuvres ont résisté au temps. Mieux : elles y ont pris leur dimension. Un résumé bref, une courte biographie parfois, vous éclaireront à la fois sur l’auteur et le livre. Mais seule la lecture de l’ou­vrage vous révélera son univers propre.

Volontairement, nous avons exclu, ici, les œuvres contem­poraines des écrivains vivants. Mises en lumière par l’actualité, le soin vous reste de les découvrir, de les adopter. Les nou­veaux sommets font, précisément, le vaste paysage de la Litté­rature.


GATSBY LE MAGNIFIQUE

Francis Scott Fitzgerald (1896-1940)

Écrivain américain. Cet auteur, moins connu en France que ses compatriotes Faulkner et Hemingway, est aujourd’hui un classique aux États-Unis. Pour Antoine Blondin, Scott Fitzge­rald est « un petit-neveu d’Edgar Poe et de Baudelaire ». Paru en 1925, Gatsby le Magnifique obtint un succès éclatant. Dans cette œuvre produite par un enfant des tumultueuses « années 20 », on trouve le fascinant reflet de l’Amérique de la prohibition, des « blues syncopés », de l’éclaboussement des richesses bien ou mal acquises, des « girls » des Ziegfield Folies, de la verti­gineuse ruée vers l’or. A cette époque, plus qu’à toute autre, l’or faisait la loi. L’auteur, victime lui-même de ces trépidantes années, devait, après avoir connu la gloire, mourir alcoolique, misérable et oublié. Il put donc composer ce livre avec ses propres expériences. Il nous raconte l’histoire d’un certain Gatsby, surnommé « Le Magnifique », pour le faste dans lequel il vit. C’est la réussite à l’américaine qu’expriment son extraor­dinaire palais de Long-Island, sa piscine olympique au cœur du parc flamboyant et les fêtes fabuleuses qui s’y donnent jusqu’à l’aube. Mais qui est donc Gatsby ? A l’origine, c’était un jeune homme issu d’un milieu pauvre du Middle-West. Errant dans les « docks », en chandail rapiécé, il s’éprend d’une jeune fille, Daisy. Celle-ci refuse de l’épouser car il n’est pas de son milieu. Elle lui préfère le riche Tom Buchanan. Blessé dans son amour et dans son orgueil, Gatsby décide de conquérir la fortune rapidement par tous les moyens possibles. Une lutte âpre, implacable, le mène au but : le voici plus riche que Tom Buchanan. Il pourra, enfin, lui reprendre Daisy à la force de l’or. Malgré les apparences, le livre est un pur roman d’amour : d’un amour désespéré, car Gatsby ne pourra pas se faire aimer de Daisy. Il comprendra que la richesse est vaine puisqu’elle ne peut lui procurer ce qu’il souhaite le plus au monde. Il en mourra, désenchanté. Le livre s’achève sur cette phrase : « Gatsby croyait en la lumière verte, l’extatique avenir qui, d’année en année, recule devant nous. C’est ainsi que nous avançons, barques luttant contre un courant qui nous rejette sans cesse vers le passé ».


MADAME BOVARY

Gustave Flaubert (1821-1880)

Écrivain français, né à Rouen. L’œuvre de Gustave Flau­bert, dans laquelle il mit de sa substance propre pour « se sentir vivre », se compose de dix-huit volumes. H faut lire Salammbô, Mémoires d’un fou, Un cœur simple, La Tenta­tion de saint Antoine, Bouvard et Pécuchet, pour découvrir la forme hallucinatoire de sa pensée : elle nous fait voir des pays où Flaubert n’est pas allé, nous fait connaître des époques diffé­rentes de celles au cours desquelles il a vécu. L’écrivain décla­rait : « Un livre n’a jamais été, pour moi, qu’une manière de vivre dans un milieu quelconque. » Pour s’en donner la parfaite illusion, Flaubert, pour chacune de ses œuvres, se livrait à de minutieuses enquêtes scientifiques. Il compulsait les publica­tions se référant au climat, à la géographie, aux usages du pays dont il voulait parler. Ainsi, il parvenait au « réel écrit ». Son chef-d’œuvre, Madame Bovary, il le conçut d’une manière cli­nique. Pour chacun des personnages, il constitua une sorte de fiche médicale se rapportant à leurs antécédents héréditaires, aux manifestations de leur tempérament, à leurs maladies suc­cessives. Ce souci de la vérité lui fit dire : « Tout ce qu’on invente est vrai. Ma pauvre Madame Bovary souffre et pleure dans vingt villages de France à cette heure même. » Flaubert, lui-même, ne cessa de se plaindre tout le temps que dura la composition de ce roman. Il vivait intensément les souffrances de son héroïne ; au point qu’il en vint à déclarer, un jour : « Madame Bovary, c’est moi ! » C’est l’histoire d’une fille de pay­san riche élevée dans un couvent de province avec des jeunes filles de la bonne société. Instruite, ouverte au beau, elle est romanesque. Mais on la marie au bon et simple Charles Bovary, officier de santé (ce qui correspondait, à l’époque, à une quali­fication intermédiaire entre celle d’infirmier et celle de méde­cin) dans une obscure bourgade. Assez vite, Emma s’ennuie : elle avait rêvé de passion, de sentiments exaltés, de tout ce que le mariage ne lui apporte pas. Un soir, la voici invitée au châ­teau d’un marquis voisin. Entourée de luxe, de gens titrés, elle est grisée par le bal. Le retour dans sa demeure bourgeoise ne lui semble que plus douloureux. Découragée, Emma a une dé­pression nerveuse. Son mari, pour la distraire, décide de s’ins­taller dans un village moins triste. La jeune femme, enceinte, reprend goût à la vie. Elle remarque un jeune homme « aux belles manières «  Léon, qui est clerc de notaire. Elle se laisse courtiser et manifeste quelque intérêt pour ce romanesque soupirant qui, s’imaginant qu’il aime en vain Emma, s’enfuit à Paris, le cœur brisé. La jeune femme, seule, s’ennuie à nou­veau. Elle rencontre bientôt un gentilhomme qui l’éblouit : Rodolphe Boulanger. Élégant, précieux, ce dangereux séduc­teur ne tarde pas à venir à bout des scrupules d’Emma. Elle devient sa maîtresse, s’attache à lui passionnément et veut fuir avec lui. Mais Rodolphe n’a que faire de cette encombrante amoureuse qu’il finit par abandonner. Emma veut se tuer de désespoir. Un jour, accompagnant son mari à Rouen, Emma y rencontre Léon, le jeune clerc d’autrefois. Le jeune homme est de passage dans la ville. La capitale lui a donné plus d’au­dace. Il presse Emma Bovary de répondre à sa flamme. En y cédant, Emma retrouve le goût de la vie. Elle a recours aux mensonges pour pouvoir rencontrer et aimer Léon qu’elle veut s’attacher par toutes les ressources de la coquetterie. Comme elle n’a pas beaucoup d’argent à consacrer à ses toilettes, elle fait des dettes auprès d’un vieil usurier, M. Lheureux. Les dettes s’accumulent. L’usurier menace de faire saisir les biens de M. Bovary. Emma, affolée, demande à Léon de l’aider. Mais ce dernier, qui n’aime plus sa maîtresse, lui oppose un refus net. Désespérée, Madame Bovary subtilise un flacon d’arsenic chez le pharmacien Homais. Elle meurt, empoisonnée, sous le regard atterré de son époux qui tente en vain de’ la sauver. M. Bovary, croyant que sa femme était heureuse, ne comprend rien à ce drame. La douleur lui fait considérer avec indiffé­rence la saisie qui s’effectue sur ses meubles. Il pense que ces dettes sont à l’origine du suicide d’Emma. Il aura côtoyé en aveugle l’univers de la passion.


LA SYMPHONIE PASTORALE

André Gide (1869-1951)

Écrivain français. Prix Nobel 1947. Toute la génération de l’entre-deux-guerres a subi l’influence d’André Gide. Réforma­teur, il voulait démontrer que la famille et les conventions empêchent l’épanouissement de l’individu. Ses Nourritures terrestres (1897) expriment la jubilation de celui qui, rompant avec ses biens, va, enfin, au-devant de lui-même : « Deviens ce que tu es ! » Seul, l’être libéré se découvre et s’accomplit avec ivresse. Cette philosophie souleva quelque scandale. Gide, toute sa vie, se vit reprocher son : « Familles, je vous hais ! » Marc Beigbeder en dit : « Les interdits de Gide étaient pour être plus, jamais pour être moins. « Familles, je vous hais » ne signifie pas que les familles doivent être envoyées au diable — Gide fut un bon homme de famille — mais que le monde extérieur est fasci­nant et que tout être doit « sauter le mur » pour le découvrir, quitte à « revenir au jardin » plus tard. » L’œuvre de Gide ne peut laisser indifférent. Quelquefois même, elle indispose ou elle choque. C’est ainsi que La Symphonie pastorale, qui est un récit romanesque, souleva une tempête à Neuchâtel. Blaise Allan écrit : « Le pouvoir de la littérature est tel que, peu de temps après la publication de La Symphonie pastorale, dans un village voisin de La Brévine, le fils du pasteur entra en conflit avec son père, selon des voies inspirées du livre d’André Gide, et finit par se convertir au catholicisme, ce qui fit grand scandale et souleva des jugements sévères. » La Symphonie pas­torale est l’histoire poétique — et tragique — d’une tentation. Jusqu’où, et au prix de quelles souffrances, peut-on résister à sa conscience ? Le héros, un pasteur à l’âme sensible et tendre, recueille une petite orpheline abandonnée à la misère. Elle s’appelle Gertrude et est aveugle de naissance. Le pasteur la ramène chez lui et veut l’adopter. Sa femme, qui lutte contre de grandes difficultés matérielles, se soumet, comme toujours d’ailleurs, aux souhaits de son trop charitable époux. Elle accueille donc cette petite sauvageonne, lui apprend à vivre convenablement tandis que son époux, le pasteur, se donne tout entier à l’éducation spirituelle de Gertrude. Il éveille son cœur et son intelligence et lui enseigne le bien. La petite grandit en sagesse. Le pasteur ne se rend pas compte que l’immense inté­rêt qu’il porte à sa protégée se nuance d’amour. Sa femme l’a compris très tôt, de même que Jacques, le fils du pasteur qui, à son tour, s’est épris de la jeune aveugle. Un jour, Jacques reproche durement à son père d’exercer une sorte d’envoûte­ment sur Gertrude. Le pasteur, d’abord bouleversé par ces propos qu’il trouve indignes, finit par se rendre -à la vérité : il découvre le sens réel des sentiments que la jeune fille lui inspire. Il constate aussi que celle-ci lui est plus attachée que jamais. Le pasteur est déchiré. Alors qu’il avait projeté une opération pour rendre la vue à Gertrude, il redoute maintenant cette décision : comment la jeune fille réagira-t-elle en le décou­vrant tel qu’il est ? Gertrude est opérée. Elle recouvre la vue. Jacques est le premier qu’elle voit avec des yeux neufs. Elle s’éprend de lui, et, par amour, accepte que le jeune homme la convertisse au catholicisme. Guérie, Gertrude reprend le chemin du presbytère. Avant d’atteindre la maison du pasteur, elle se jette dans la rivière. Sur le point de mourir, elle avoue au pasteur son amour pour Jacques, et sa conversion. Jacques devient moine. Le pasteur a tout perdu.


FAUST

Johann Wolfgang Goethe (1749-1832)

Écrivain allemand. Toute la fin du XVIIIe siècle allemand a été dominée par la figure de Goethe, toute l’Europe du XIXe siècle a salué son génie. Goethe est à l’Allemagne ce que Shakespeare est à l’Angleterre, Dante à l’Italie, et sans doute Hugo à la France. La première partie de Faust — son œuvre capitale — parut en 1808 et la seconde en 1831. Pendant trente années et jusqu’à sa mort, Goethe fut habité par cette tragédie. Il n’a pas inventé l’histoire de Faust. L’homme aurait réellement existé : certains affirment même qu’il est né vers 1480 à Knittlingen, et aurait étudié la magie à Cracovie. Qui était-il ? A la fois alchimiste, philosophe et magicien. De nombreux écrivains, avant Goethe, se sont inspirés de cet extraordinaire personnage, mais, seul, le génie du grand poète allemand allait donner au docteur Faust ses dimensions tragiques.

Goethe nous montre le vieux philosophe au seuil de la mort. Il se désespère d’avoir plus étudié que vécu. La science, sou­dain, lui paraît stérile : il ne lui reste qu’une faim immense de cette vie qu’il n’a pas connue. C’est à ce moment qu’apparaît Méphistophélès — le diable — pour lui proposer ce marché : Faust lui vendra son âme, contre quoi, lui, le diable, lui donnera de nouveau la jeunesse, la beauté et toute la richesse possible. Malignement, Méphistophélès déclare à Faust que la vie lui sera retirée au moment précis où tous ses vœux seront comblés et ses désirs satisfaits. Faust, en philosophe, songe que l’envie est un sentiment éternel ; rien ne pourrait l’apaiser. Aussi, croyant se jouer du diable, il signe le pacte avec son sang. Voici Faust, soudain, redevenu jeune, séduisant, passant ses nuits à boire avec des filles de taverne. L’ivresse passée, il constate que ces plaisirs grossiers ne justifient pas la vente de son âme au démon. Un jour, au sortir d’une église, il rencontre une pure jeune fille : Marguerite. Cette vision fait naître dans son cœur un amour respectueux. Mais Marguerite, toujours escortée d’une vieille femme, demeure inabordable. Le diable, pour ménager une rencontre à Faust, entreprend de courtiser la duègne. Faust entraîne Marguerite à l’écart et lui déclare sa passion. La belle jeune fille en est troublée. Un soir, elle lui entrouvre sa porte. Méphistophélès, connaissant la coquetterie des femmes, a précédé Faust dans la chambre de Marguerite pour y placer un coffret empli de somptueux bijoux. Celle-ci en est éblouie et se pare de ces fabuleux joyaux. Une nuit, Faust verra sa bien-aimée céder à son désir. Margue­rite n’est pas longue à éprouver la honte de son acte. Elle implore le pardon de la Madone. Son frère Valentin revient de la guerre. Il apprend que Marguerite attend un enfant de Faust. Aussitôt, il jure de venger l’honneur de la famille. S’armant d’une épée, il guette l’arrivée de Faust et de Méphisto­phélès. Mais c’est lui-même qui meurt dans cette rixe. Marguerite accourt et entend son frère la maudire dans son dernier soupir. Folle de douleur, elle perd la raison. Elle tuera son enfant qui vient de naître. Condamnée pour infanticide, elle croupit dans un cachot. Faust, grâce aux ruses de Méphisto­phélès, pénètre dans la prison. Marguerite, démente, ne peut le reconnaître, mais la raison lui reviendra suffisamment pour distinguer le diable sous les traits de Méphistophélès. Elle pointe sur lui son index et recule épouvantée en appelant Dieu à son secours. A ce moment, Méphistophélès murmure : « Elle est jugée… » Dans le lointain, les anges du ciel lui font écho et claironnent : « Elle est sauvée ! » Faust, désespéré, demeure la proie du démon qui l’emporte hors du cachot.


LA MÈRE

Alexis Maximovitch Pechkov, dit Maxime Gorki (1868-1936)

Écrivain russe. Cet écrivain doit sa réputation mondiale aux vagabonds, aux va-nu-pieds qu’il sut décrire avec une mi­nutie étonnante. Orphelin dès son très jeune âge, Maxime Gorki eut une enfance atroce. Adolescent, il exerça les plus rudes métiers : marmiton, manœuvre, cordonnier, boulanger, etc. Cependant, il eut très tôt un besoin impérieux de lire et de s’instruire. Un journal de province s’intéressa aux pre­mières nouvelles qu’il composa fort jeune. La gloire allait bientôt atteindre une œuvre qui ressemble à une vaste auto­biographie. Gorki a également composé des pièces de théâtre, dont la plus célèbre — universellement jouée — est Les bas-fonds. Son roman, La Mère, est l’œuvre la plus sensible de cet écrivain révolutionnaire. Son décor est la Russie doulou­reuse, piétinée, qui refuse le désespoir. Nous y voyons, dans une chambre sordide, Pélagie Vlassova. C’est une vieille femme rompue par la misère et le malheur. De toute son existence, elle n’a connu que la faim, le froid et les coups que lui assenait un mari ivrogne et inculte. Elle songeait qu’elle devait subir, sans broncher, cette triste destinée. Devenue veuve, Pélagie Vlassova met toute son humilité et son dévouement au service de son fils, Paul. Elle s’émerveille de sa jeune intelligence. Le vent de la révolution souffle sur la ville. Paul, qui est ouvrier, adhère au mouvement révolutionnaire. Il pense que le salut et l’espoir résident dans les promesses de changement. Il faut commencer par instruire le peuple car c’est l’ignorance qui permet l’oppres­sion. Paul dévore des masses de livres à la mauvaise clarté du taudis. Le soir, il accueille ses amis et discute avec eux des idées tirées de ses lectures. La vieille mère écoute sans com­prendre : les mots « liberté », « droit à la vie », lui sont étrangers. Mais ces mots, tombés en elle comme des graines, se déve­loppent sourdement. Bientôt, Pélagie Vlassova s’éveille, à son tour, à l’idée de liberté. Elle veut savoir. La voici qui ouvre les livres de son fils et y ânonne des phrases. Mais leur sens, bientôt, l’éblouira comme un soleil au sortir de la nuit. Elle épouse les idées de son fils et participe aux discussions avec ses camarades. Ces jeunes gens seront arrêtés, puis déportés. La vieille mère remplacera son fils dans la lutte clandestine. De toutes ses pauvres forces, elle soutient l’œuvre de son enfant. Rien ne l’arrêtera, pas même le martyre qu’elle endu­rera au moment de son arrestation. Désormais, cette révolu­tion, dont Pélagie Vlassova est un peu la mère, à travers son fils, est en marche.


LE LIVRE DES CHANTS

Henri Heine (1797?-1856)

Écrivain allemand, né à Dusseldorf. Théophile Gautier, ami de Henri Heine, dit : « L’œuvre de ce poète est toute de contraste. On y sent cette âme gaie et triste, sceptique et croyante, tendre et cruelle, délicate et cynique… » Ces contra­dictions ont, sans doute, fait de Henri Heine une des figures les plus attachantes de la littérature allemande. Très jeune, il s’était lié avec les poètes romantiques. Il allait assez tôt se dégager de leur influence. Sous le couvert de la fantaisie, il donnait à ses vers une perfection classique. Le Livre des Chants son œuvre la plus célèbre — rassemble la majeure partie de ses poésies et de ses chants. Ce sont, en effet, des sortes de mélopées musicales. Dans leurs envoûtantes sonorités, passent les échos des amours malheureux du poète pour ses cousines deux sœurs — Amélie et Thérèse. Retenons le merveilleux poème intitulé Lorelei, qui entremêle les thèmes de la beauté, de l’amour, et de la mort. Henri Heine nous montre l’enchan­teresse Lorelei tout au sommet d’un rocher qui surplombe une boucle du Rhin : « Dans la lumière du soleil couchant, elle chante en coiffant avec un peigne d’or ses longs cheveux dorés. » Cette vision et ce chant perdront le navigateur qui passe sous cette roche. Envoûté par la beauté et la voix de Lorelei, il laissera sa barque se briser contre le rocher et cou­lera, lui-même, dans les vagues.


L’ADIEU AUX ARMES

Ernest Hemingway (1898-1961)

Écrivain américain. Un style dense, celui de la méditation. Que valent les mots : « Gloire, Honneur, Courage… » ? Heming­way nous raconte l’histoire d’un jeune Américain, lors de la Grande Guerre, qui s’engage comme « volontaire » sur le front italien. Blessé, il est soigné dans un hôpital milanais et s’éprend de son infirmière Catherine. De retour au front, c’est le désastre de Caporetto. L’horreur de cet effondrement, d’une part, — la nostalgie de Catherine de qui il va avoir un enfant… A-t-il le droit de sacrifier son bonheur à cette guerre qui se change en débâcle ? L’honneur ne serait-il pas, plutôt, de rejoindre cette femme qu’il a rendue enceinte ? Il s’évade du front, se réfugie en Suisse avec Catherine. Mais, même le bonheur n’est que rêve absurde : Catherine meurt à la nais­sance du bébé. La vie, elle-même, n’est qu’une illusion de l’hon­neur, comme du bonheur. Ce roman est l’un des plus célèbres de Hemingway, Prix Nobel 1954.


LA LÉGENDE DES SIÈCLES

Victor Hugo (1802-1885)

Écrivain, poète, dramaturge français. L’œuvre de Victor Hugo est, sans contredit, la plus importante, la plus riche, la plus diverse, de la littérature française. Il n’est aucun de ses ouvrages — jusqu’au plus court de ses poèmes — qui ne porte la marque éblouissante du génie. Son œuvre totalise vingt-sept volumes, sans compter son abondante correspondance adressée à Juliette Drouet. Victor Hugo, fils d’un général, était destiné à l’École Polytechnique. Avant de le présenter au concours d’entrée, on lui fit suivre les cours du Lycée Louis-le-Grand. A treize ans, déjà épris de la nature et de la poésie, il décida : « Je veux être Chateaubriand, ou rien ! » Et le voici, à quatorze ans, lauréat des Jeux floraux de Toulouse qui couronnent ses premiers essais. Victor Hugo devenait « l’enfant prodige » et naissait désormais à la gloire. Tout allait servir son imagination : la nature, la politique, Napoléon (l’Aigle), le coup d’État du 2 décembre 1851, Napoléon III (le Petit), son exil à Jersey puis à Guernesey. Le poète parvient au sommet de son art. L’exil le grandit encore : il écrit dans Les Châtiments : « Je resterai proscrit, voulant rester debout ! » Dans sa solitude, c’est le recueillement : il revit en pensée la fin atroce de sa fille, sa chère Léopoldine, noyée accidentellement dans la Seine, à Villequier, avec son époux, peu après leur mariage. Ce souvenir lui inspire l’admirable volume des Contemplations. Le déses­poir du poète est tel qu’il lui dicte ces vers sublimes :

« Ô Seigneur ! ouvrez-moi les portes de la nuit,
Afin que je m'en aille et que je disparaisse ! »

Enfin, La Légende des siècles. Sans doute, ce recueil doit-il être considéré comme le sommet de l’œuvre hugolienne. Ici, le poète se proposait « d’exprimer l’humanité successivement, et simultanément, sous tous ses aspects : histoire, fable, phi­losophie, religion, science. Afin de faire apparaître, dans ce miroir sombre et clair, la grande figure une et multiple, lugubre et rayonnante, fatale et sacrée : l’Homme. » C’est, en effet, un ensemble grandiose qui unit les images bibliques aux splendeurs barbares.


HEDDA GABLER

Henrik Ibsen (1828-1906)

Écrivain norvégien, Ibsen est, à la littérature scandinave, ce que Tolstoï est aux lettres russes. Ses œuvres sont jouées dans le monde entier : Hedda Gabier, Les Revenants, Maison de Poupée, etc. Ces pièces dures, cruelles, ont influencé une bonne partie des écrivains modernes : elles ont ouvert la voie à un certain humanisme. Hedda Gabier, notre héroïne, est belle, altière, entourée de nombreux soupirants. Pourtant, c’est Joergen, le plus insignifiant d’entre eux, qu’elle épouse. Assez vite après le mariage, Hedda s’ennuie. Elle reproche à Joergen la vie médiocre qu’il lui offre. Elle ne l’aime pas, mais, orgueil­leuse, elle refuse l’idée de le tromper. Bientôt, elle apprend le retour, dans le pays, d’Ejlert, un ami d’enfance. Une amitié amoureuse les avait un instant liés. Ejlert avait quitté la ville à la suite d’un différend qui les avait opposés. Hedda avait même braqué sur lui son revolver. A l’époque, le jeune homme était un alcoolique, débauché et considéré par tous comme un écrivain fini. Aujourd’hui, non seulement il ne boit plus, mais il vient d’achever une œuvre remarquable. C’est sous l’influence bienfaisante de Théa qu’Ejlert s’est rangé et a retrouvé son génie. Hedda attire Théa chez elle et la presse de questions. Celle-ci lui confesse qu’elle vient de quitter son époux pour se consacrer entièrement à la cause d’Ejlert, qu’elle aime. Voici Hedda tenaillée par la jalousie. Elle se rappelle l’époque où Ejlert l’aimait et se persuade que celui-ci n’a pu l’oublier. Elle convoque, un soir, le jeune homme qui refuse le verre qu’elle lui tend. Hedda, avec ironie, le félicite de sa sobriété nouvelle puis le défie : puisqu’il est si fort, pourquoi a-t-il refusé de se joindre ce soir-même à de francs lurons ? Par sot orgueil, Ejlert accompagne sur-le-champ les libertins. Hedda espère bien qu’il retombera dans son vice. Ejlert s’enivre et égare, dans la rue, son précieux manuscrit. C’est l’époux d’Hedda qui le retrouve et le rapporte chez lui. Il le confie à sa femme. Hedda découvre avec haine, dans cette œuvre, « l’enfant de Théa ». Elle jette le manuscrit au feu. Ejlert est désespéré. C’est sa vie même qui a disparu avec ces pages : jamais plus il ne pourra les recomposer. Devant Hedda, il donne libre cours à sa douleur. Hedda lui tend son revolver. Ejlert s’en empare et va se réfugier chez une demi-mondaine. Au cours d’une beuverie, il se donnera la mort. Cet acte accompli dans un mauvais lieu bouleverse Hedda. Elle avait souhaité une fin grandiose qui aurait été son œuvre à elle, alors que le dénouement est sordide. C’est alors qu’un de ses soupirants vient lui poser ses conditions : elle se donnera à lui, sinon il déclarera avoir reconnu son revolver près du cadavre d’Ejlert et elle sera inculpée pour l’avoir poussé au suicide. Mais Hedda l’écoute distraitement. L’échec de sa vie lui paraît total. Elle se donne, elle-même, la mort.


LE CHÂTEAU

Franz Kafka (1883-1924)

Écrivain tchèque, d’expression allemande. L’univers kaf­kaïen, est celui de la solitude des êtres perdus dans les dédales et les labyrinthes d’un monde aveugle et sourd. Son héros, invariablement, se nomme Monsieur K., – dans Le Château comme dans Le Procès — ce qui donne au roman un ton autobiographique. Tout n’y est que symboles et états d’âmes. Dans Le Château, nous voyons K. arriver dans un étrange village. Il veut être arpenteur du château qui appartient à un comte dont nul ne sait rien. Le grand château, bâtisse sombre fichée au sommet d’une colline, comment K. l’atteindra-t-il ? Descendu dans une auberge, ce qui s’y dit, loin de le renseigner, lui fait supposer combien ce château mystérieux est inacces­sible. Tous les habitants du village subissent ses lois inhumaines et évitent K., l’étranger, qui voudrait comprendre. Ce sont autant de barrières qui, chaque jour, s’élèvent entre K. et le Château qui, maintenant, devient sa hantise. Divers événements se passent, rêvés ou vécus, K. ne le sait plus lui-même. C’est le drame d’un monde fermé autour de certains êtres qui – en vain – cherchent à atteindre leur but, et se heurtent toujours à l’incommunicabilité, aux terribles frontières d’une société où ils ne peuvent s’intégrer.


FABLES

Jean de La Fontaine (1621-1695)

Poète français. Comme André Gide, nous relirons les Fables avec un « ravissement indicible ». La Fontaine se croyait moins pourvu de talent que ses amis Molière, Racine, Boileau. Pourtant ses Fables devaient atteindre une gloire sans pareille. Il s’est inspiré d’Ésope, en conservant cependant l’originalité de son talent : « Mon imitation n’est pas un esclavage. Je ne prends que l’idée et les tours et les lois, — que nos maîtres sui­vaient, eux-mêmes, autrefois ». Dans sa préface aux Fables, La Fontaine dit encore : « Platon ayant banni Homère de sa. République, y a donné à Esope une place très honorable. Il souhaitait que les enfants sucent ces fables avec le lait. Car on ne saurait s’accoutumer de trop bonne heure à la sagesse et à la vertu ». Notre poète, lui, a abordé tous les problèmes humains : La Jeune Veuve, par exemple, est une spirituelle étude du cœur des femmes, Les Animaux malades de la peste, une satire sur les lâchetés et intrigues dont se rendent parfois coupables les êtres comme les gouvernements. C’est, bien sûr, avec une souriante émotion que nous relirons ces fables qui font partie du cadre enchanté de notre enfance, mais où nos yeux mûris d’adultes sauront apprécier l’observation légère et mordante qui est le propre du génie français.


PELLÉAS ET MÉLISANDE

Maurice Maeterlinck (1862-1949)

Écrivain belge, d’expression française, Prix Nobel 1911. Jules Lemaitre a dit de Maeterlinck : « Ses poèmes dialogués sont de la quintessence de drame dans du rêve. » Ce rêve diapré de mystère — plus encore que dans ses essais L’Oiseau bleu, La vie des abeilles — nous enchante dans son drame en prose Pelléas et Mélisande. Claude Debussy — ce maître de la mu­sique suggestive — apporta à cette œuvre une magique dimen­sion sonore. Pelléas et Mélisande — tout comme Tristan et Yseult, et Roméo et Juliette — a pour thème « l’amour plus fort que la mort ». Mélisande, une frêle jeune fille, pleure au fond d’une forêt. Le prince Golaud l’y découvre, lors d’une chasse. Pressée de questions, Mélisande lui répond qu’elle ne sait d’où elle vient, ni où elle va : elle est seulement « perdue… perdue… ». Golaud, séduit par la beauté de Mélisande, l’emporte dans son château et l’épouse. Mélisande languit : des arbres touffus et noirs ensevelissent le parc et le château. Ici, le soleil ne pénètre jamais. Bientôt, le demi-frère de Golaud, le jeune Pelléas, revient de voyage. La grâce éthérée de Mélisande l’éblouit. Il erre sous les fenêtres de la belle princesse. Celle-ci se penche vers lui : ce geste fait descendre ses « longs cheveux tout le long de la tour ». Pelléas, émerveillé, enfouit son visage dans ces mèches d’or. Golaud survient, somme son demi-frère de lâcher la chevelure de la jeune femme. La jalousie étreint son cœur. Mais l’amour que se portent les jeunes gens est chaste. Ils ne s’avoueront leur passion qu’un soir où Golaud les surprend attardés dans le parc. Fou de jalousie, le prince s’élance sur eux, armé d’une épée. Parce qu’ils vont mourir, Pelléas et Mélisande échangent leur premier baiser dans une étreinte passionnée. Le jeune homme est tué sur-le-champ. Mélisande ne se remet pas de sa blessure. Golaud, à son chevet, veille son agonie tout en la pressant de questions : a-t-elle « fauté » avec Pelléas ? Mélisande s’éteint avec son secret, aban­donnant Golaud aux tortures du remords et du doute.


KAPUTT

Curzio Malaparte (1898-1957)

Écrivain italien. Le titre de cet ouvrage est tiré de l’expres­sion allemande, Kaputt, qui signifie : détruit, terminé. L’œuvre se rapporte à la dernière guerre, à ce gigantesque conflit qui fit de l’Europe un « amoncellement de débris ». Malaparte avait, de 1943 à 1945, participé aux combats menés par les partisans italiens pour la libération de leur pays. Son expérience et son témoignage sont à l’origine de ce récit. L’auteur évoque avec toute la puissance de son talent les horreurs de la guerre : la famine, la prostitution pour un vieux croûton de pain, le long défilé des morts-vivants blêmes comme des cadavres. Son inspi­ration se nourrit de la débâcle de l’Europe, de la chute des « grands » et de l’anéantissement des masses. L’odeur de la mort et du sang plane partout. C’est avec une outrance toute « malapartienne », une ironie glacée et un cynisme qui soudain sombre dans une poésie tragique, que ces années terribles sont évo­quées. Malgré ses excès, Kaputt est un extraordinaire document sur la dernière guerre qui a marqué notre monde


HERODIADE

Stéphane Mallarmé (1842-1898)

Poète français. L’œuvre de Mallarmé est l’une des plus importantes du XIXe siècle. Elle fut construite au cours de sa vie de fonctionnaire. Mallarmé, professeur de son état, enseigna l’anglais à Besançon, Avignon, puis au Lycée Condorcet à Paris. Mais son esprit méditatif rêvait, intensément, à la réforme du langage poétique. Il tendait vers un art dépouillé de toute grandiloquence, de toute complaisance. En 1869 Mallarmé publia une scène de Hérodiade. Cette poésie précieuse, racée, lui attira autant de détracteurs que d’admirateur fervents. Ses ennemis lui reprochaient l’obscurité de son langage et l’assemblage audacieux des mots, tandis que ses nouveaux disciples trouvaient dans ces vers la magie d’une voie nouvelle et incomparable. Paul Valéry, son élève le plus proche, écrivit dans une étude sur Mallarmé : « … Une force, une foi, un ascétisme, un mépris du sentiment général sans exemple dans les lettres, qui en ravalaient toutes les œuvres mois superbes et toutes les intentions moins rigoureusement pure. c’est-à-dire presque tout. »


LA GARDEN PARTY

Katherine Mansfield (1888-1923)

Femme de lettres anglaise, originaire de la Nouvelle-Zélande, Kathleen Beauchamp — dite Katherine Mansfield —était une jeune femme sensible, ouverte aux mouvements les plus secrets du cœur. Maladive, fragile, elle se montrait réceptive aux moindres événements et les transfigurait par sa propre émotivité.

Son célèbre livre, La garden party, est un recueil de nou­velles dont l’une a donné son titre à l’ensemble. Le jour où la riche Mrs Sheridan donne une garden party pour ses filles, le temps est radieux et l’atmosphère à la joie ; la jeune et sen­sible Laura sent cette joie vibrer dans tout son corps, dans son cœur qui déborde de tendresse pour la nature tout entière et les plus simples des êtres qui l’entourent. Mais voici qu’un voisin, un pauvre ouvrier père de nombreux enfants, s’est tué acciden­tellement juste avant le début de la fête et la joie de Laura s’en trouve éteinte d’un coup : la garden party, estime-t-elle, devrait être remise. La fête, pourtant, a lieu et, reprise par sa joie, Laura oublie… Mais, les invités partis, Mrs Sheridan a l’idée d’envoyer Laura porter à la veuve et aux enfants les reliefs de la fête. Encore vêtue de sa jolie robe, la ‘jeune fille affronte en une fois la misère, l’hypocrisie et la mort, la mort terrible et merveilleuse, comme la vie…


BEL-AMI

Guy de Maupassant (1850-1893)

Écrivain français. Ce roman, publié en 1886, eut un très gros succès dans lequel le scandale avait sa part. On reprochait à l’auteur un cynisme excessif. On lui reprochait aussi d’avoir trop noirci les caractères de ses personnages. Aujourd’hui, l’œuvre de Maupassant, marquée surtout par Bel-Ami, semble avoir singulièrement annoncé la littérature actuelle. Précurseur, il l’est par son style net, vif, incisif. Les grands écrivains contem­porains reconnaissent en Maupassant un maître. Le roman est, sans doute, une charge assez sombre contre ces individus appelés « arrivistes ». C’est l’histoire de Georges Duroy, joli garçon, de condition modeste et sans culture. Il décide de « monter à Paris » et d’y tenter sa chance. Du moins sait-il la saisir quand un ancien camarade de régiment — brillant journaliste — le fait entrer à La Vie française. Georges Duroy, que nous savons sans culture, ne sait comment rédiger son premier article. C’est l’épouse de son camarade, Madeleine, qui l’aidera. Belle, intrigante, elle devient l’alliée de ce joli garçon et complice de ses ambitions. Cet article a un très gros succès et Walter, le puissant directeur de La Vie française, engage ce jeune homme qui le charme, et lui donne une rubrique. Très vite, les plus jolies Parisiennes s’entichent de Georges Duroy, et le surnomment Bel-Ami. Aventures amou­reuses, duels, c’est maintenant un jeune homme à la mode. Cette ascension fulgurante, il la doit entièrement aux femmes : il les a toutes dans son jeu. De succès en succès, Georges Duroy devient cynique, fait souffrir, pour le plaisir, ses belles amou­reuses. Et voici que son ami et camarade de régiment, le jour­naliste Forestier, meurt. Bel-Ami épouse sa veuve, la belle et rusée Madeleine. A eux deux, ils dressent des plans de « con­quêtes ». Un legs d’un million échoit au ménage. Cela ne suffit pas à Bel-Ami qui, maintenant, signe Du Roy. Son ambition ne connaît plus de limites. Il emploiera tous les moyens pour se hisser plus haut. A présent, c’est l’immense fortune de Walter, son patron, qu’il convoite. Pour arriver à ses fins, il décide de séduire la fille de Walter, Suzanne, âgée de dix-sept ans, et d’organiser un flagrant délit entre sa propre femme, Made­leine, et un ministre. Tant pis si le scandale force le ministre à démissionner et si Madeleine perd la raison face à cette machination. L’essentiel, pour Bel-Ami, est d’arriver à ses fins : épouser la fille du riche Walter pour se garantir sa fortune.


MOBY DICK

Herman Melville (1819- 1891)

Écrivain américain. Moby Dick, roman célèbre de H. Mel­ville a été publié en 1851, à New York. Il n’eut de succès aux États-Unis qu’après la première guerre mondiale. En France, il ne fut traduit et publié qu’en 1941. Cette œuvre, qui annon­çait la littérature contemporaine, est le récit épique de la poursuite infernale d’une baleine blanche appelée Moby Dick.

Mystérieuse et redoutable, la baleine blanche symbolise l’impossible recherche de l’absolu, la confrontation avec les forces obscures et dominatrices. Une chasse terrible s’engage et se termine par le naufrage du bateau, « le Péquod ». C’est aussi la description des villages parcourus par Ismaël (sans aucun doute l’auteur) et la rencontre de Qeequeg dans une auberge de campagne portant l’enseigne prémonitrice « Jet de la Ba­leine ». Queequeg et Ismaël deviendront amis et compagnons de voyage à bord du même baleinier. Le lecteur découvrira l’île de Nantucket où les deux hommes vont s’embarquer à bord du « Pequod ». L’équipage sera longuement décrit.

Flask- est le tueur de baleines. Il ressent une haine violente pour ces animaux. Les aides sont Tash-tego l’Indien et Assuerus Daggoo, un gigantesque noir. Pip est appelé « le fou », parce qu’il répète sans cesse que « le pied de Dieu est posé sur la pédale du métier à tisser du monde ».

Il y a un homme que nous ne connaissons pas : le capitaine de ce bateau. Les appellations énigmatiques de l’équipage le rendent encore plus mystérieux. En haute mer, nous le voyons apparaître, puissant, fier, capable « d’insulter le soleil si celui-ci l’avait insulté », le visage rayé d’une balafre blême. Le capi­taine Achab porte la marque « de combats cosmiques avec la mer ». Une de ses jambes a été dévorée par Mobby Dick lors d’un précédent combat. Celle-ci est remplacée par une béquille taillée dans l’ivoire poli d’une mâchoire de cachalot.

L’histoire complète de la pêche à la baleine sera contée de l’époque du fossile à la description des parties de la baleine dépecées sur le pont du navire. Les baleines gravées dans les livres anciens comme celles décrites pendant les expéditions des siècles passés seront longuement évoquées.

Tous ces détails rendront plus pathétiques l’affrontement fatal avec la baleine blanche, Moby Dick, et la lutte personnelle qu’Achab engagera contre elle. Le combat violent, terrible, se mêlera à la rage de la mer déchaînée et aux éclats du tonnerre. Achab et le « Pequod » sombreront.

La lente chasse à la baleine dangereuse et angoissante, où toute la haine humaine est accumulée sur cet animal, représente la difficulté de vivre, la lutte avec Dieu lui-même : « Tout ce qui rend fou et qui tourmente, tout ce qui est démoniaque dans la vie et dans la pensée, tout le mal étaient personnifiés en Moby Dick ». Achab avait amassé sur la bosse blanche de la baleine la somme de haine ressentie par toute l’humanité. La structure de cette œuvre est déroutante. Les formes varient sans cesse, allant du dialogue hurlé dans le vent au monologue murmuré, de l’étude scientifique à la cérémonie quasi-mystique, de l’anecdote au récit épique de l’événement.

Cette étrangeté littéraire ne fait que refléter les contradictions et les étrangetés du caractère de l’auteur, toujours à la pour­suite d’un rêve qu’il n’atteint jamais. Melville avait quitté les États-Unis dès l’âge de dix-neuf ans, pour s’engager comme matelot et traverser l’Atlantique jusqu’à Liverpool. Fasciné par la mer, il abandonna ensuite l’école rurale où il était insti­tuteur pour participer à une chasse à la baleine (qui allait lui donner le thème de Moby Dick) et vivre dans les îles de l’Océanie pendant près d’un an. Tout le reste de sa vie ne fut qu’une suite de succès foudroyants et d’échecs totaux, d’errances et de tranquilles séjours à New York ou dans une ferme du Massa­chusetts. Il mourut pauvre et oublié, après avoir été adulé au moment de la parution de ses premiers récits d’aventure.


LE MISANTHROPE

Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière (1622-1673)

Auteur français, né à Paris. C’est à l’âge de vingt et un ans que Jean-Baptiste Poquelin monta, la première fois, sur une scène. Cette vocation, il l’eut dès son très jeune âge. Son père, qui fut tapissier et valet de chambre du roi, avait de grandes ambitions pour son fils à qui il voulut faire faire des études de droit. Mais le jeune Jean-Baptiste avait une telle passion du théâtre qu’il fonda avec la famille Béjart une troupe baptisée pompeusement : l’Illustre Théâtre. Madeleine Béjart, une belle rousse, avait seule le privilège de choisir ses rôles. Molière en était amoureux. Le voici donc à la tête de sa petite troupe,

errant de ville en ville, et présentant des pièces d’auteurs obscurs. C’est à l’âge de trente ans que Molière composa sa première pièce importante : L’Étourdi. Créée à Lyon, en 1655, elle attira à Molière la sympathique protection de Mon­sieur, l’unique frère du roi. Celui-ci invita la troupe à jouer à Paris, et la présenta à Louis XIV. Le souverain se divertit beaucoup à la représentation d’une petite comédie de Molière : Le Docteur amoureux, et, en 1659, installa les comédiens au théâtre du Petit-Bourbon. Souvent, Louis XIV fit appel à Molière pour animer les soirées de Versailles. Notre auteur, habile directeur de théâtre, traitait dans ses pièces des sujets qui étaient au goût du jour : Les Précieuses ridicules, L’École des Maris, L’École des Femmes, L’Avare, Le Médecin malgré lui, Les Femmes savantes, Le Malade imaginaire, Le Tar­tuffe, Le Misanthrope, Don Juan, etc.

Dans toute son œuvre, Molière s’est attaqué aux simulations, à la fausse pruderie, à la fausse piété, à la fausse gloire, à la fausse science, au faux bel esprit. Il détestait qu’on voulût passer pour ce que l’on n’était pas. En 1661, au sommet de sa gloire, Molière reçut du roi le théâtre du Palais-Royal. Ses ennemis devenaient nombreux. Les médecins ne lui pardon­naient pas ses attaques contre leur corporation et l’Église n’appréciait pas son Tartuffe. Par-dessus tout cela, les dissen­sions avec Armande — car il épousa la fille de son premier amour, Madeleine Béjart — prenaient un tour aigu. Armande était coquette, et Molière extrêmement jaloux. Les époux en vinrent à la séparation. En s’inspirant de son propre drame sentimental, Molière composa son chef-d’œuvre : Le Misan­thrope. Le héros, Alceste — l’homme aux rubans verts —, mé­prise la société car tout n’y est qu’hypocrisie et basse flatterie. Par malheur, il est épris d’une coquette, la belle Célimène. Celle-ci encourage ses soupirants et les raille une fois partis. L’un d’eux, Oronte, récite un sonnet à Alceste et lui demande de juger ses vers. Alceste les trouve exécrables et le déclare ouvertement sans craindre de provoquer un incident avec le malheureux auteur. Nouvel éclat d’Alceste lors de la visite que fait à Célimène la perfide Arsinoé. Les deux femmes se détestent et pourtant se couvrent de baisers. Arsinoé, prenant Alceste à l’écart, lui révèle que Célimène le trompe : cette coquette adresse à tous ses soupirants des billets enfiévrés. Alceste est ulcéré. Il lui reproche sa légèreté et lui demande une fois encore de tout abandonner pour l’épouser. Célimène n’entend pas se priver des plaisirs du monde pour ce chagrin personnage. Alceste, avant de la quitter, lui déclare amèrement :

Je vais sortir d'un gouffre où triomphent les vices
Et chercher sur la terre un endroit écarté
Où d'être homme d'honneur on ait la liberté…

SIX PERSONNAGES EN QUÊTE D’AUTEUR

Luigi Pirandello (1867-1936)

Dramaturge italien. Prix Nobel 1934. Le théâtre de Luigi Pirandello développe le thème de la complexité humaine. Ses héros partent à la recherche de leur vérité et s’y perdent. La devise de Gauguin est la leur : « D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? ». L’éternelle question ne trouve pas de réponse. Cette même angoisse imprègne toute l’œuvre de Pirandello, dont les pièces les plus importantes sont : Chacun sa vérité, Se trouver, La volupté de l’honneur, et la plus célèbre : Six personnages en quête d’auteur. Au lever du rideau, la scène est nue, sans décor. Dans un coin, un metteur en scène donne des indications à quelques acteurs. Bientôt, six personnes d’aspect neutre avancent à pas feutrés sur le plateau. Le metteur en scène veut chasser ces curieux. Le plus âgé d’entre eux se présente : il est le père, il est entouré de sa famille : une épouse et quatre enfants. Ils sont nés de l’imagination d’un auteur et ont été abandonnés par lui. Tour à tour, chacun des six personnages supplie le metteur en scène de mettre fin à son supplice et plaide avec chaleur pour son cas propre. Le metteur en scène consent à aider ces personnages en quête d’auteur, en faisant interpréter leur rôle par sa propre troupe. Mais ils s’indignent contre ces acteurs qui rendent mal leur vérité. C’est l’échec final : le théâtre a ses lois qui ne sont pas celles de la vie réelle.

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