BeTrail.run, Association Sans But Lucratif ou Société à Responsabilité Limitée ?
Est-ce que BeTrail est une association ?
OUI
Est-ce que BeTrail est une société ?
OUI
Mais alors, BeTrail est une association ou une société ?
LES DEUX ! En fait les co-fondateurs de BeTrail ont créé deux stuctures adossées l’une à l’autre : une association et une société. L’association permet de promouvoir la marque BeTrail grâce à des actions portées par des bénévoles. Ces bénévoles vont par exemple « encoder » les résultats des dernières courses, c’est à dire aspirer des noms/prénoms/catégorie/classements des coureurs pour créer une base de données propriétaire unique BeTrail. D’un autre côté la société permet de lever des capitaux, et donc de revaloriser à la hausse les participations respectives des co-fondateurs et des nouveaux associés.
Il y a bien sûr une récupération par la société commerciale BeTrail des efforts produits par les bénévoles pour l’association BeTrail. Certains membres de l’association BeTrail se revendiquent ainsi « bénévoles »… alors qu’ils sont entrés au capital de la société BeTrail lors de la 2e levée de fonds !
Présentation de la stratégie de marketing digitale
BeTrail est une société commerciale domiciliée à Gembloux, en Belgique. Sa stratégie de conversion visiteur -> membre gratuit -> client est la suivante :
- Aspirer le plus grand nombre de résultats de courses possible,
- Créer des pages perso nominatives pour chacun des coureurs afin de leur générer une visibilité web
- Inviter les coureurs à « revendiquer » leur page perso, donc convertir des visiteurs en membre via une inscription à BeTrail
- « Libérez tout le potentiel de BeTrail », c’est à dire monétiser via un abonnement Premium à 2.50€/mois en convertissant les membres gratuits en clients
Création de la société
Fin 2016, 3 co-fondateurs créent la société privée à responsabilité limitée BeTrail : PM, VVM et LS.
Première augmentation de capital : dernier tour à 1€
Début 2019, deux augmentations simultanées de capital ont lieu… mais pas vraiment dans les même conditions. Pour la 1ere augmentation de capital, un 4e associé apporte 6400€ pour acquérir 25.6% des parts. Nommé HM, cet associé participe au développement du site web mais ne sera pas présenté comme un co-fondateur lors des levées de fonds à venir. Il a pourtant acquis ses actions au même prix que les co-fondateurs.
A noter que les parts font également l’objet d’un split 1:250, multipliant donc le nombre d’actions par 250.
Deuxième augmentation de capital : de coûteuses primes d'émission
La 2e augmentation de capital introduit la notion de « prime d’émission ». Les nouveaux associés vont donc s’acquitter d’une prime d’approximativement 25€ pour acquérir des parts qui valent 1€. Pourquoi ? Parce que les co-fondateurs jugent que la société vaut désormais 25 fois.
Ainsi, 9 investisseurs personnes physiques, dont certains sont travailleurs « bénévole » pour BeTrail, versent un total de 51 000€ pour acquérir 1976 actions. Quant à la société de crowfunding Spreds Finance, elle verse 210 900€ pour acquérir 8167 actions.
La valorisation pour cette levée de fonds avoisine le million d’euros, ou 35 143 x 25.85€ = 907 513€ pour être exact.
Curiosité concernant Spreds Finance : les chiffres des sommes collectées et investies ne collent pas. En effet, le compartiment 1A collecte 134 616€ pour le compte de 190 investisseurs particuliers, le compartiment 1C collecte 134 016€, soit un total de 268 632€. Où donc ce sont évaporés les 49 565€ correspondant à la différence entre sommes collectées (268 632€) et sommes allouées (210 900€) ? Certes, Spreds Finance prélève des commissions, mais dans le cas présent elles atteindraient 21.5% du capital ce qui semble excessif.
Curiosité également, la société BeTrail ne communique pas du tout sur sa levée de fonds… On peut d’ailleurs s’étonner de l’absence de Mentions Légales, pourtant obligatoires, sur le site de BeTrail. C’est vrai qu’en se revendiquant Start-up, BeTrail aurait plus de mal à trouver des « bénévoles »…
A propos de la société Spreds / Spreds Finance
La société Spreds possède une filiale nommée Spreds Finance. Cette filiale possède les titres des sociétés qu’elle finance. La filiale a donc un compte de résultat quasi nul, sans charges ni revenus. Curieusement c’est EY qui jour la rôle de « réviseur » d’entreprise. Sa mission n’a pas du être très complexe puisque la liasse fiscale se limite au bilan !
Si la filiale Spreds Finance n’a pas vocation à générer un revenu, ce n’est pas le cas de la maison mère, qui elle est une société à but réellement lucratif. Or, quand on lit les bilans, force est de constater que Spreds brûle du cash depuis bientôt 10 ans, procédant à des diminutions de capital pour éponger les pertes. Fin 2021, la société Spreds affichait un déficit de capitaux propres de 1.2 M€, oops !
A noter que Spreds reste très discret sur les performances des projets qu’elle finance : aucun indicateur ne vient illustrer le gain moyen qu’un investisseur aurait pu réaliser dans un portefeuille de sociétés ayant fait appel à leur financement. On retrouve ici un phénomène classique du fléchage fiscal : les investissements éligibles à une réduction d’impôts sont rarement rentables en terme de performances. D’où l’expression de « carotte fiscale » !
Troisième augmentation de capital : la LBFA s'invite
La Ligue Belge Francophone d’Athlétisme rentre dans la partie… mais dans des conditions beaucoup plus avantageuses qu’à la précédente augmentation de capital. Pour 200 000€ elle acquièrent 11 714 actions nouvelles, pour un coût par action de 17.07€, soit 32% mois cher que les 10 derniers actionnaires. A noter que les actionnaires qui ont bénéficié d’une réduction d’impôts de 45% via Spreds ont quasiment perdu leur avantage fiscal.
La LBFA devient donc majoritaire car elle possède 24.9% de BeTrail. A noter que BeTrail développe également le site BeAthletics pour la LBFA.
Les 4 associés fondateurs réalisant une excellente opération puisque leurs parts sont désormais valorisées à 17.07€, alors qu’elles ne leur ont coûté que 1€.
Perspectives
Lors de son dernier exercice, BeTrail brûlait environ 100 000€ par an. Aujourd’hui le site revendique 716 utilisateurs Premium qui lui assurent un revenu annuel prévisionnel de 21 480€.
BeTrail réussira-t-il à augmenter son nombre de clients Premium pour devenir rentable ? Pas sûr. En effet, certains des administrateurs du site revendiquent un rôle de « bénévole », travaillant donc « gratuitement » pour la promotion du site… alors qu’ils sont eux même actionnaires de la société.
Et la déontologie ? Certains coureurs peuvent considérer leur pratique sportive comme une facette de leur vie privée qu’ils tiennent à préserver. Créer des pages perso nominatives pour obtenir un référencement dans Google pourrait être perçu comme invasif par des sportifs loisirs qui souhaitent plus de respect et de confidentialité… surtout si l’objectif financier de BeTrail est de générer une plus-value pour ses actionnaires.
Et le RGPD ? Betrail affirme dans le paragraphe 6.1 de sa Politique de respect de la vie privée et d’utilisation des données à caractère personnel que « vos données personnelles ne sont pas vendues à des sociétés tierces ». Pourtant lors des levées de fonds 1A et 1C de la société Spreds, on peut lire qu’une des 4 sources de revenus de BeTrail est la « Vente de statistiques et données agrégées/anonymisées (revendeurs, équipementiers) ». Comme un Google ou un Facebook, BeTrail est donc actif dans le commerce de la data.
Et Kikourou.net ? Dans l’argumentaire commercial de ses levées de fonds, BeTrail affirme vouloir devenir « le site web le plus visité au monde, et de très loin ». Attention au mélange des genres. Kikourou est une association sans but lucratif gérée par des membres bénévoles, il y a donc une vraie notion de communauté. BeTrail est une société commerciale qui se fait passer pour associative en utilisant à outrance le terme de « bénévole ». Ces bénévoles -lorsqu’ils ne sont pas actionnaires BeTrail- doivent avoir conscience qu’ils oeuvrent dans une structure à but lucratif, et que le fruit de leur travail profitera aux actionnaires. Rien à voir donc avec la philosophie Kikourou, beaucoup plus en ligne avec le vrai esprit trail.
Et les charges sociales ? Travailler bénévolement pour une société commerciale présente un risque social pour l’employeur. En effet, des institutions gouvernementales, comme par exemple l’URSSAF en France, pourraient s’estimer lésées par ce travail dissimulé et non rémunéré. Comme les co-fondateurs pourraient justifier du caractère associatif et non lucratif d’une startup qui passe par les réseaux pour ses levées de fond ?